C’est une question brûlante pour nombre d’entre nous : comprendre s’il vaut mieux agir à l’échelle de son quartier, de sa ville, de son pays et/ou de son entreprise pour le changement climatique. Dans cet article, je vous partage une étude sortie sur le sujet, qui nous apporte une réponse surprenante !
Dépasser le triangle de l’inaction
Si vous vous intéressez aux solutions pour le changement climatique, vous avez déjà peut-être entendu parler du triangle de l’inaction théorisé par Pierre Peyretou, professeur à l’ESCP.
Ce concept est simple : les trois côtés représentent l’État, les Entreprises et les Individus. Or, dans ce triangle, chacun se renvoie la responsabilité d’agir. Nous avons déjà tous entendu dire : “ce sont aux autres d’agir” ou alors “c’est la faute des autres”. Ce rejet est une excuse pour ne pas agir, et nous nous enfermons dans un blocage.
Alors, plutôt que de rester figés, pourquoi ne pas essayer de sortir du triangle de l’inaction pour agir ?
La première étape est de se mettre soi-même en action. Nous faisons tous partie de collectifs qui peuvent agir pour la transition : encore faut-il réussir à visualiser ces groupes et l’impact que nous pouvons avoir à l’intérieur.
C’est tout l’objet de cet article : comprendre les bons niveaux d’impact.
Le pouvoir des 10 000 personnes
Le chercheur suédois Avit Bhowmik a rédigé avec ses pairs un papier de recherche très intéressant pour comprendre l’échelle idéale afin de conduire des actions rapides en matière de lutte contre le changement climatique.
En effet, pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris, il est nécessaire de réduire de moitié les émissions mondiales chaque décennie jusqu'en 2050. Cela nécessite une mise à l'échelle rapide et stratégique des technologies et pratiques existantes et émergentes, ainsi que des transformations économiques et sociales ; et des solutions de gouvernance innovantes.
Le papier analyse 100 solutions prêtes à être largement mises en place et proposées par le Project Drawdown, une organisation internationale regroupant des scientifiques autour des solutions concrètes, viables et disponibles.
Ces 100 solutions permettraient de limiter le réchauffement climatique à +1,5°C, avec par exemple : des pompes à chaleur, la création de systèmes de chauffage à l’échelle d’un quartier, des toitures végétalisées, la géothermie, la réduction du gaspillage alimentaire, la mise en place d’une agriculture régénératrice, le compostage, la reforestation, l’amélioration du recyclage, l’éducation des jeunes filles, une meilleure marchabilité en ville, favoriser le télétravail, les politiques pour plus de train, etc.
Les solutions sont réparties en plusieurs secteurs : production d'électricité, nourriture, femmes et filles, transports, bâtiments et villes, utilisation des terres, matériaux.
Selon les chercheurs, si nous avons tant de mal à nous mettre en mouvement, c’est parce que nous rencontrons plusieurs difficultés :
- Quand on parle de lutte pour le dérèglement climatique, le problème semble à la fois flou et lointain
- Nous avons du mal à nous organiser pour résoudre le problème
- On finit par se dire que la résolution n'est pas directement dans notre champ d'action : nous retombons ainsi dans le fameux triangle de l’inaction !
Et pourtant, toutes nos sociétés s'organisent en strates de différentes tailles (des continents, des nations, des villes, des communautés, des villages, des réseaux locaux...).
Alors justement, les chercheurs ont identifié 10 échelles d’action, réparties ainsi :
- L’individu : chaque personne sur la planète
- 10 personnes : famille, couples, ménages de tous types et de toutes tailles, amis proches, micro-entreprise
- 100 personnes : réseau personnel, famille élargie, voisins proches, pairs à l'école/au travail, petites et moyennes entreprises, réseau social
- 1 000 personnes : village, villes rurales, grands quartiers urbains et écoles, collèges, fermes
- 10 000 personnes : communauté, petites communes, grandes entreprises, banlieues, universités
- 100 000 personnes : métacommunauté, ensemble de communautés en interaction, communes de taille moyenne, grandes entreprises
- 1 million de personnes : zones urbaines et villes, main-d'œuvre des plus grandes entités multinationales, gouvernements régionaux
- 10 millions de personnes : mégapoles, États, nations, biorégions (un territoire dont les limites sont géographiques et non politiques, par exemple avec des écosystèmes ou des communautés spécifiques)
- 100 millions de personnes : juridictions, entités ou zones transnationales et sous-continentales
- 1 milliard de personnes : entités ou zones continentales et multinationales
- 10 milliards de personnes : traités, accords et organisations mondiaux
Puis les chercheurs se sont demandés : parmi ces 10 niveaux d’actions, qui peut mettre en place ces 100 solutions afin de respecter les Accords de Paris limitant le réchauffement à +1,5°C ?
Le bon niveau d’action se situe dans les communautés de 10 000 personnes
En effet, 80 % des solutions peuvent être mises en place à cette échelle ! Comme par exemple : des infrastructures pour les vélos, des toits avec des panneaux solaires, une agriculture plus respectueuse de la planète…
Cette échelle offre la possibilité de la plus grande réduction des émissions de gaz à effet de serre, et le plus grand nombre de solutions climatiques à mettre en place. De plus, les chercheurs constatent que près de la moitié des réductions d’émissions de CO2e peut être obtenue à travers cette échelle.
Mais ce n'est pas tout...
En 2ème et 3ème position d'action, les métacommunautés (de 100.000 personnes, soit de très grandes entreprises, des communes de taille moyenne, ou des communautés en interaction) et des villes / régions (jusqu'à 1 million de personnes) sont les plus efficaces.
Ces trois échelles d’action sont “ni trop grandes, ni trop petites, mais juste ce qu’il faut” selon les chercheurs, car elles mettent en commun des représentants, des décideurs, des agents du changement, des personnes qui façonnent les politiques et contrôlent le financement. Par ailleurs, cela permet aux actions d'être localisées et personnalisées en fonction de la culture, du lieu et des circonstances plutôt que de compter sur les efforts individuels qui peuvent subir des injonctions.
Les auteurs ont également chiffré les bénéfices financiers potentiels en mettant en place ces différentes actions. Les métacommunautés sont l’échelle avec le “revenu” le plus important : 10 000 milliards de dollars de bénéfice, contre 8 milliards de dollars pour la mise en place d’actions au niveau des communautés.
Qu’en est-il de l’échelle individuelle ?
Le papier de recherche souligne un point très important : si l’échelle individuelle est la plus basse en termes de nombre d’actions possibles, elle n’en est pas moins indispensable.
Pourquoi ? Car les transformations dans la sphère personnelle peuvent soutenir des modes de vie et des comportements à faibles émissions de carbone, avec des effets en cascade dans la sphère politique et finalement mondiale. En effet, c’est dans la sphère personnelle que les changements de normes (comme l’adoption d’un régime moins carné par exemple), les évolutions de croyances et les mentalités peuvent avoir lieu, ce qui impacte par transformations en cascade les sphères plus larges.
Plus les changements de modes de vie seront massifs, plus ils se multiplieront de façon exponentielle et auront un impact positif à grande échelle. Tout part donc de l’échelle individuelle.
Pour aller plus loin : la mise en mouvement concrète à notre échelle
Dans son TedTalk, le chercheur en sciences cognitives Thibaud Griessinger replace l’individu au sein de 5 niveaux : l’individu, le groupe, l’organisation (associations, clubs, entreprises…), l’institution (à l’échelle d’un quartier, d’un pays, d’une université…), et enfin la culture dans laquelle nous évoluons.
À notre échelle, nous sommes donc porteurs d’une possibilité de changement avec les autres. Seulement, nous n’en avons pas toujours conscience.
Il est donc important de réinventer notre capacité à faire société - et donc reprendre contrôle sur notre rapport au monde.
En psychologie, il existe un phénomène qui se nomme “impuissance acquise” : nous pouvons être persuadés que quoique l’on fasse, nous n’avons aucun contrôle sur le monde. Ainsi, nous n’essayons même pas de changer.
La démarche inverse est donc de reprendre le contrôle, en pensant que nous sommes porteurs du changement, et que nous pouvons opérer ce changement en tant qu’individus.
Pour ce faire, rien de mieux que de visualiser les différents groupes, organisations et institutions auxquels nous appartenons, et au sein desquels nous pouvons insuffler le changement, car il viendra de tous les niveaux !
Pour conclure, le message de ces recherches est simple : nous avons la capacité d’agir à notre niveau, car nous sommes tous des individus appartenant à des groupes sociaux. À nous de sortir du triangle de l’inaction et de se mettre en action. Et surtout de redorer le blason de l’échelle locale et régionale, car le changement viendra de ces niveaux !